Ce colloque du Centre d'étude du XVIIIe siècle (UMR 5050 du CNRS) donne une vue d'ensemble d'une période longue et diverse, vécue très différemment par les protestants français dont la vie, au Refuge comme au Désert, a été profondément marquée par la Révocation de l'édit de Nantes (1685). Les études rassemblées dans le présent volume commencent aux années qui précèdent la Révocation et courent jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
L'évolution théologique - le terme dépasse de loin la notion traditionnelle de théologie - concerne non seulement les pasteurs et exégètes, mais également des laïcs, de simples fidèles, des femmes. Quant aux théologiens, c'est souvent comme historiens, journalistes ou écrivains qu'ils interviennent sur la scène du Refuge. Les contributions réunies ici peignent cette évolution sous différents aspects culturels : la prédication, la piété, la littérature, la philosophie, le droit et la politique.
L'exil massif des pasteurs français au moment de la Révocation contribua à l'émergence des premières Lumières dans le creuset du « Refuge » en Hollande, en Suisse, en Allemagne notamment. Les questions doctrinales classiques se trouvèrent parfois prolongées et approfondies, mais elles furent souvent délaissées au profit d'approches plus rationalistes, provoquant par là même une réaction de type piétiste. Les protagonistes de ces débats furent eux-mêmes parfois délogés de leurs positions, obligés de se reconvertir dans d'autres branches de la vie culturelle pour pouvoir survivre : le monde de la librairie, de l'enseignement, des arts et des sciences bénéficièrent de leur apport.
Au « Désert » - c'est-à-dire en France, où le protestantisme désormais interdit ne pouvait s'exprimer que dans la clandestinité -, la situation était évidemment tout à fait différente. On y manquait cruellement de pasteurs et de formation théologique. Seule la création du Séminaire de Lausanne va permettre de former des pasteurs disposés à exercer leur ministère au péril de leur vie. Pourtant, les réseaux épistolaires permirent le maintien de liens personnels et institutionnels qui garantirent la circulation des idées nouvelles.
L'évolution théologique des pasteurs du Désert et celle du Refuge se produisirent donc dans des contextes très différents, à des vitesses modulées et pour des publics distincts. Tant les pasteurs du Désert que ceux du Refuge se montrèrent perméables à leur environnement, à l'air du temps. Ils se trouvèrent ainsi, les uns et les autres, confrontés aux grands courants de pensée et de sensibilité de leur époque : le rationalisme et le piétisme.