James Cone, le plus grand théologien noir américain actuel, s’attaque à deux figures emblématiques du combat des noirs américains. Souvent considérés comme radicalement différents tant dans leurs parcours que leurs personnalités ou leurs orientations politiques ; King et Malcom X apparaissent, avec ce livre, sous un jour nouveau.
L’auteur tente d’abord de nous expliquer pourquoi l’engouement des années 70 vers MLK s’est transformé peu à peu pour ne devenir au mieux que de l’indifférence au pire du mépris tandis que Malcom X devient le héros des jeunes noirs des années 80-90 ; source d’inspiration pour les chanteurs de Hip-hop. Il ne s’agit pas pour Cone de deux Amériques noires qui s’affronteraient et se feraient face sans se comprendre mais, bien au contraire, d’une culture noire américaine unique marquée par la diversité et la complexité. Il apparaît même que les deux figures emblématiques noires ne peuvent se comprendre l’un sans l’autre car les deux hommes se corrigent mutuellement, s’influencent et, dans l’intimité, s’apprécient.
Le livre montre d’abord le combat pour la libération qui anime ces deux figures. Tous deux s’engagent sans compter et avec réussite dans une lutte qui ne fait pas appel aux mêmes moyens : violence et séparation pour Malcom X ; pacifisme et intégration pour MLK. Pourtant, au-delà de ces contradictions, Cone tente de montrer que les deux leaders se rejoignent et se corrigent l’un l’autre. C’est toute l’originalité de cette Å“uvre qui étudie en parallèle ces deux vies : il montre un radicalisme commun et une souplesse impressionnante. Surtout, la lecture à postériori de J.Cone montre comment cette tension en vis-à-vis permet à MLK de s’imposer dans le jeu politique américain et de triompher. L’ampleur de leur vue dépasse l’horizon politique pour les arrimer à la lutte pour une humanité renouvelée. Vision théologique chez MLK, celle-ci puise sa force dans la solidarité noire tiers-mondiste chez Malcom X que MLK rejoint en vue de lutter contre toutes les oppressions.
Pour autant, tous deux sont des produits de leurs temps et de leur culture ce qui va nuire à leur projet et limiter leur audience. Leur sexisme et leur ignorance des problèmes de classes demeure des talons d’Achille même si la confrontation politique et internationale va peu à peu les faire évoluer par une autocritique permanente. Leur héritage, nous rappelle Cone, est immense car nul noir aujourd’hui ne peut se dire « beau » sans être redevable à MLK et à Malcom X. Cette dignité retrouvée et puisée dans la Bible et dans la redécouverte de la culture noire sont les deux fondements de la théologie noire élaborée par J.Cone. Reprise par J.Wright, pasteur de B.Obama, et très présente dans la société américaine.
L’ouvrage de Cone articulé en trois petits chapitres faciles d’accès déroule des idées simples et une argumentation bien construite et efficace. Originale et pertinente, l’analyse reste rapide et demanderait des développements plus loin sur certains points notamment la question sociale. Cela étant, ce nouvel éclairage mérite d’être découvert pour la richesse de l’analyse des parcours croisés et pour l’importance aujourd’hui de la théologie de la libération dont MLK est un des inspirateurs.