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« Histoire de la Mission Timothée »

Le Désert huguenot en Cévennes sous un nouveau jour

Dictionnaire du Désert huguenotIl y a encore bien des choses à découvrir du Désert huguenot. Ce nouveau "Dictionnaire" de Pierre Rolland, s'avère en réalité être une somme (et une mine) sur cette période déterminante.

Nous laissons Patrick Cabanel présenter ce livre "attentif dans sa méthode, ambitieux dans son propos, sûr dans ses résultats".

Pierre Rolland est l’auteur d’une Å“uvre qui a fait de lui l’un des meilleurs connaisseurs, et des plus utiles, que l’on me pardonne ce mot que je vais expliciter, en ce qui concerne l’histoire du protestantisme en Cévennes au siècle du « Désert Â». Il joint à son métier officiel, la cartographie, qui vaut au présent livre un superbe appareil de cartes, une passion pour les archives qui pourrait en remontrer à un certain nombre d’historiens professionnels. Je crois pouvoir dire qu’il est le seul aujourd’hui, voire depuis toujours, à avoir entrepris de lire la totalité des documents accessibles sur les années 1685-1760, et qui se trouvent aux Archives départementales de l’Hérault (la célèbre série C, celle de la répression, donc de l’histoire documentée), aux Archives nationales, aux Archives du Port de Toulon (pour les « galériens pour la foi Â»), à la Société de l’Histoire du protestantisme français (Paris) et à la Bibliothèque de Genève (les non moins célèbres Papiers Court). De ce monceau de documents et de quarante ans de dépouillements, Pierre Rolland aurait pu tirer une synthèse à grands traits sur trois quarts de siècle de répression du protestantisme méridional. Il a choisi une voie que je dirai plus modeste – plus généreuse, peut-être, et c’est bien par là qu’elle est plus immédiatement utile à la communauté des chercheurs et des curieux : il met au point des instruments de travail, des listes, des catalogues, des dictionnaires biographiques, des cartes, dont seuls les spécialistes peuvent vraiment mesurer la somme de travail, de précision, de patience, de recoupements infinis, que leur confection a exigée, et dans lesquels chacun peut puiser à l’infini.

 

L’historiographie du protestantisme en Cévennes au XVIIIe siècle (à une époque où ce protestantisme régional représente à vrai dire bien plus que lui-même, aux yeux de la France comme de l’Europe), comprend, d’une certaine façon, un avant et un après Pierre Rolland. À trois titres. C’est d’abord le Dictionnaire des Camisards, en 1995 : étrange entreprise, presque saugrenue, que de consacrer près de 200 pages sur double colonne (index non compris, et quels index !) à une masse d’inconnu(e)s, dont la biographie tient souvent en deux petites lignes (leur reddition couchée sur quelque liste de l’époque) ; mais il suffit d’évoquer un contemporain, le « Maitron Â», l’immense Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, pour saisir la nature de ce « Maitron des camisards Â» que Rolland nous a offert. Dans un deuxième temps, c’est le gros article sur les galériens protestants de 1680 à 1775 : Rolland n’a pas eu ici à établir de dictionnaire, puisqu’il existait déjà, grâce à Gaston Tournier, mais il en a précisé, corrigé, et considérablement augmenté les listes[1]. Voici maintenant ce Dictionnaire du Désert, avec ses cinq parties : un précis d’histoire religieuse, mais aussi administrative, politique et militaire des années 1715-1765 ; un catalogue chronologique des assemblées du Désert qui ont donné lieu à une procédure judiciaire au cours de ces années ; un dictionnaire biographique des protestants concernés, des grands pasteurs et « martyrs Â» aux simples gens touchés par la répression et donc inscrits dans l’histoire (le « Maitron du Désert Â»), mais aussi de ceux qui les ont poursuivis ou condamnés (les deux listes ne sont pas confondues !) ; une chronologie détaillée de ces cinquante années ; et leur représentation cartographique et statistique.

 

Quels usages faire de cette masse de faits et de noms mis à notre disposition, non pas dans leur état brut, mais après avoir été analysés, bâtis, croisés, classés par Rolland ? Celui, tout d’abord, que se propose tout utilisateur d’un dictionnaire : il a à sa disposition près de 400 descriptions d’assemblées au Désert, et près de 2000 notices de protestants (emprisonnés dans près de trois cas sur quatre). Qui, même chez les spécialistes, pourrait dire à quelle époque les assemblées ont été les plus nombreuses, ou les plus réprimées, et quelles sont les principales régions concernées ? Un simple coup d’œil sur les cartes révèle, ce qui sera peut-être une surprise pour certains, la relative « quiétude Â» des Cévennes lozériennes, où la guerre des Camisards avait pourtant jeté ses premiers feux ; la place importante occupée, aux deux extrémités de ce vaste « Languedoc Â» huguenot, par la région de Vabre-Roquecourbe-Mazamet, dans le Tarn, et celle du plateau du Chambon-sur-Lignon[2], en Haute-Loire et haute Ardèche ; enfin l’épicentre du Désert que constituent, tout simplement, la ville de Nîmes et ses garrigues, suivies de celles d’Uzès : quand le Désert n’est pas là exactement où l’on aurait pu l’imaginer. Un seul exemple de l’apport de cet ouvrage : si l’on s’intéresse à l’assemblée surprise en janvier 1720 à la baume des Fées, aux portes de Nîmes, et sur laquelle Court a publié une relation, on se reportera au catalogue des assemblées (n° 16), puis aux biographies de l’ensemble des participants qui y ont été arrêtés et condamnés à des peines très diverses (galères, Tour de constance, déportations en Louisiane commuées en expulsion du royaume, mises au couvent, emprisonnement simple).

 

Plus largement, ce livre compte par son précis historique des années 1715-1765, par lequel il s’ouvre. Rolland a raison de dire qu’il n’a rien trouvé de satisfaisant sur cette période, sauf à citer des livres que pratiquent tous les historiens, mais anciens, puisqu’il s’agit notamment de ceux de Charles Coquerel (1841) et d’Edmond Hugues (1872)[3]. À la vérité, et comme il arrive dans l’historiographie, ce « cÅ“ur » du XVIIIe siècle a été quelque peu éclipsé par les années qui le précèdent et par celles qui le suivent. Avant 1715, voici la double gloire, lumineuse ou noire, c’est selon, de Louis XIV, de la Révocation, de Basville, des prédicants, des prophètes, des Camisards ; dans les années 1760, voici d’autres gloires tragiques ou splendides, l’affaire Calas, Voltaire, le Traité sur la tolérance, la victoire finale, la marche qui peut sembler irrésistible, vue de loin, vers l’édit de 1787 et la Révolution. Dans le long intervalle ainsi « Ã©crasé Â», deux géants, Antoine Court et Paul Rabaut, un séminaire en exil (Lausanne), des pasteurs exécutés et les complaintes qui les pleurent, l’icône Marie Durand et leResister. Mais des connaissances précises, sur les plans politique, administratif, géographique, religieux, pour ne pas dire événementiel, nous faisaient encore défaut – sauf peut-être sur la Normandie, depuis la publication d’une étude restée longtemps inédite d’Émile-Guillaume Léonard[4].

 

Rolland nous aide à fixer définitivement la chronologie du ou des Déserts : non pas deux, comme on l’a dit trop vite, mais trois. Désert décrit par ses historiens comme « héroïque Â», de 1685 à 1715 – la lecture, en regard, des Prédicants de Charles Bost[5] et du présent Dictionnaire suffit à dire la violence de l’histoire au lendemain de l’automne 1685 ; Désert de la « reconquête protestante Â», de 1715 au début des années 1760, au centre de la présente étude ; enfin, Désert que j’avais numéroté « troisième Â», faute de mieux, et que Rolland suggère de qualifier de « toléré Â» ou de la « tolérance de fait Â». Sur ce dernier, nous avons encore des choses à apprendre ; pour les années 1715-1765, le résultat est devant nous, avec sa chronologie heurtée et contrastée, selon la saison de l’année et selon que le royaume est en paix ou en guerre (dans ce cas, le Languedoc est dépourvu de troupes, engagées sur les frontières ou les théâtres extérieurs, et la répression se relâche, parce que les responsables savent qu’ils n’auraient pas les moyens d’écraser une rébellion). Bien des choses tiennent aussi à la présence ou à l’absentéisme, à l’ambition, aux convictions personnelles, aux relations, des représentants du roi, intendants et commandants en chefs, et à la manière dont la justice est rendue, par les cours habituelles (un bref épisode en 1725) ou par manière d’exception (le choix constant).

 

À distance, et selon une illusion d’optique bien naturelle, nous avons le sentiment d’une évolution lente mais irrésistible, d’un trend vers toujours plus d’acceptation ou de tolérance de la religion interdite. Mais sur le moment, c’est tout autre chose : apaisement sous la Régence (et sous la peste de 1720-1722…), durcissement avec la déclaration royale de 1724, modération de la répression au cours des années 1730, puis sa quasi extinction au tout début de la décennie suivante, ce qui explique le « Réveil[6] Â» protestant des années 1742-1745, avant une sévère reprise des contrôles et la grande opération des « rebaptisations Â» forcées (baptême catholique imposé aux enfants qui avaient été baptisés au Désert) en 1751 et 1752 ; l’opération, avec ici et là ses allures de « dragonnade Â» recommencée, fort bien décrite par Rolland, manque mettre le feu aux poudres, alors que les autorités connaissent pourtant le risque crucial d’un renouveau camisard ; du coup, les années 1750 connaissent une dernière succession de phases contrastées, avant qu’une tolérance de fait ne l’emporte durablement, en dépit des excès isolés du parlement de Toulouse en 1762.

 

Cette approche chronologique fine est absolument nécessaire pour comprendre ces décennies somme toute mal connues ; Rolland l’assortit d’une typologie des attitudes réprimées et des modes de répression. Je dois avouer avoir tout appris des « arrondissements Â» (la définition par les autorités de circonscriptions appelées à s’acquitter solidairement d’amendes pour les assemblées) et de ce « fonds des amendes Â» qui permet de régler les frais de la répression (frais de justice, d’emprisonnement, d’éducation d’enfants placés de force dans les couvents…). Comme d’autres minorités sous d’autres régimes, les protestants sont contraints de financer la politique qui les réprime… Le livre permet aussi de vérifier combien l’école « obligatoire Â» (mais non laïque, remarque Rolland avec humour !) a été un instrument de contrainte et de contrôle.

 

À défaut de véritable trend, une conclusion se dégage de tout le livre : des modestes curés aux plus hautes autorités, chacun a toujours su que le combat contre le protestantisme était perdu. Que les troupes s’éloignent, qu’une décision de justice semble laxiste, et les églises catholiques se vident, le Désert se remplit de milliers de fidèles, de baptêmes et de mariages, la situation redevient celle d’avant 1685, regrette l’évêque de Saint-Pons en 1745. Une administration sage consiste dès lors à ne pas voir cette reconstitution du protestantisme, pour n’avoir ni à sévir (au risque de l’explosion) ni à ne pas sévir assez (au risque de paraître envoyer un signal de tolérance). « Souffrir ce qu’on ne peut empêcher et ignorer pour cet effet ce qu’on ne saurait punir sans compromettre encore plus l’autorité Â» (l’intendant Bernage de Saint-Maurice, en 1743). Il arrive que l’intendant s’agace de l’attitude de certains évêques, qui exigent des protestants, pour les marier, plus de piété et de pratique que de la part des anciens catholiques… Certes, des coups sont frappés ici et là, tout du long, des centaines de vies sont brisées : ainsi ce Jean Say, un Nîmois chez qui l’on trouve, en 1752, une chaire du Désert, des tabourets, des troncs, des livres de religion, et qui meurt aux galères sept ans plus tard[7]… Mais le protestantisme, lui, parcourt un chemin presque régulier vers toujours plus de pasteurs, d’assemblées, de pratiques et de cérémonies, il s’enhardit, est à deux doigts, dès 1743 puis en 1757-1758, de réaménager des temples. Il s’offre même un luxe un peu décevant que l’on aurait pu penser réservé aux périodes de paix : des schismes entre pasteurs… 

 

Surprenante et complexe période que ces années 1715-1765. Rolland les donne à voir à travers les assemblées surprises, la correspondance des autorités, les destins des meneurs et des obscurs. C’est une étape décisive de l’histoire des protestants français. Et un instrument de plus pour comprendre cette période de reconstruction entre camisards et Lumières, entre un Corteiz et un Rabaut Saint-Étienne : ni la plus tragique, ni la plus brillante, et celle donc sur laquelle nous avions le plus à apprendre. C’est chose faite grâce à ce livre attentif dans sa méthode, ambitieux dans son propos, sûr dans ses résultats.

 

Patrick Cabanel

[1] P. Rolland, « Les galériens protestants (et condamnés pour aide aux protestants), 1680-1775 Â», BSHPF, 2012, 1, p. 45-92. Gaston Tournier, Les galères de France et les galériens protestants des XVIIe et XVIIIe siècles, 3 tomes, Musée du Désert, 1943-1949.

[2] On parle alors du Chambon de Tence. Plusieurs assemblées se déroulent à la limite immédiate avec la commune de Mars (Ardèche), à quelques pas de cette dernière.

[3] L’auteur donne les références dans ses premières pages.

[4] Ã‰mile-G. Léonard, La résistance protestante en Normandie au XVIIIe siècle, Cahiers des Annales de Normandie, n° 34, Caen, 2005, 96 p.

[5] Charles Bost, Les prédicants protestants des Cévennes et du Bas-Languedoc, 1684-1700, 2 vol., Champion, 1912, rééd. Presses du Languedoc, 2001.

[6] L’expression de « Réveil Â» ne doit pas être prise ici au sens que l’histoire de la théologie protestante lui donne habituellement : celui d’une « recharge Â» spirituelle qui conduit à créer une nouvelle Église à l’écart de l’ancienne, à la manière du méthodisme, du baptisme, etc. (c’est plutôt le prophétisme des années 1687-1688 et 1700 qui relève de cette définition). Rolland désigne ici une restauration de l’Église, de la discipline, de la pratique.

[7] Livres et chaire sont brûlés en place publique le premier jour de marché. Le destin d’un Jean Say fait voir autrement ces chaires du Désert auxquelles les musées du protestantisme nous ont habitués. On ne sait pas, en revanche, ce qu’il est advenu de ce patron de barque qui, poursuivi par la chaloupe des employés des fermes, a jeté à la mer les caisses renfermant des livres protestants, lesquelles se sont échouées sur les plages et ont été ramassées par des pécheurs.

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